[ Fig. 01 ] <i>Voix : off</i> (capture vidéo), 2003.

Les vidéos sont en anglais avec sous-titres français.

Une prière pour Nettie

1995
33:00

Vérité et mensonges. Documentaire et fiction. Distance et obscénité. Tendresse et cruauté. C'est sur ces frontières ténues que se balade inlassablement Donigan Cumming. Il aime à nous provoquer, à nous maintenir dans l'inconfort. Une prière pour Nettie, premier de ses films, marque le passage de la photo à la vidéo. De fait, Nettie a longtemps été son modèle de prédilection. Ici, il lui consacre une élégie. Lorsqu'il commence à la filmer en 1993, elle est encore vivante. Un simple arrêt sur image suspend sa vie, lui donnant l'apparence d'un gisant. Dès lors les pleureurs, saisis dans leur domicile mais associés à Nettie par le montage, peuvent intervenir. L'un d'entre eux, Albert, qui l'a à peine connue, se démarque particulièrement. Au cœur de ses déclamations, Cumming lui fait interpréter une parodie d'un film policier. Sommes-nous dans une tragédie ou dans une comédie ? Le cinéaste ne choisit pas. Bien que les protagonistes soient dans une constante représentation, une forte émotion se dégage de l'ensemble. Si aucun lien explicite n'unit ces personnages, l'acte de mémoire que met en scène Cumming les rassemble néanmoins dans une communauté virtuelle. C'est à elle qu'il s'attachera désormais, de film en film.

Bertrand Bacqué, Visions du réel, 2002

Coupez le perroquet

1996
40:00

Dans son premier film, Une prière pour Nettie, Donigan Cumming avait placé Albert au centre de l'hommage funèbre rendu à Nettie, son ancien modèle. Un an plus tard, il compose Coupez le perroquet, un nouveau requiem à l'intention d'Albert, décédé à son tour dans l'indifférence totale. Comme dans son précédent film, le cinéaste recueille une série d'éloges funèbres en honneur du défunt auprès de ceux, proches ou moins proches, pour qui cette mort suscite une émotion. Mais ce film diffère du précédent en ce qu'il semble fondé non seulement sur le respect, mais aussi sur un intense sentiment de colère. Plusieurs fois, Donigan filme son propre visage et raconte avec hargne la façon dont on lui a annoncé la mort d'Albert ou sa visite à la morgue pour reconnaître le corps. Dès lors, le fondement de sa quête cinématographique semble clairement exposé : aucune existence, aussi marginale soit-elle, ne doit s'achever de la sorte, sans un regard. À travers leurs témoignages contribuant à donner un sens à la vie d'Albert, à l'éloigner de la fosse commune, ces personnages fragiles qui expriment leur attachement révèlent leur propre grâce, comme cette femme épileptique qui interprète Que sera, sera avec tant d'intensité.

Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 2002

Après Brenda

1997
41:00

Quinquagénaire alcoolique et ventripotent, Pierre Lamarche a tout perdu : accusé de viol par Brenda, la femme qu'il aime, il se retrouve à la rue après un séjour en prison. Obsédé par son ex-amante, il la soupçonne de coucher avec les voisins et de s'adonner à la prostitution.

Livrant sa mésaventure à la caméra de la même façon qu'il se soumettrait à une thérapie, Pierre se considère en quelque sorte comme le producteur d'un document sur sa vie. Cabotin, il se pique au jeu et n'évite ni la surenchère ni les détails croustillants. De son côté, Cumming dirige ses acteurs de fortune, plante le décor et provoque les rencontres, en grand ordonnateur de ce qu'il définit lui-même comme un « roman populaire ». Par un dispositif narratif complexe, il juxtapose au récit de Pierre ses propres commentaires ainsi qu'une seconde histoire plus morbide, bien distincte de la première et narrée par un personnage à priori étranger au drame principal. Ici, le documentaire flirte clairement avec la fiction : chaque personnage joue son propre rôle, y compris le cinéaste; perspicace, il collecte les fragments épars de cette affaire à la manière d'un détective, entre dans les appartements et en ressort après avoir fixé sur la bande vidéo pièces à conviction -la petite culotte de Brenda ... - et témoignages scabreux. Dans sa dimension sordide et humoristique, Après Brenda donne à voir une réalité elliptique et explicitement manipulée. Déconcertante au premier abord, elle est cependant à l'image de la vie de Pierre : un mélange ordinaire de faits avérés et fantasmes.

Sophie Guyot, Visions du réel, 2002

L’ange capricieux

1998
50:00

Est-ce que les anges erratiques sont des anges déchus ? Quand on découvre Colin, quarante-huit ans, personnage central de ce film, il marche sous un viaduc autoroutier. Il marche alors que ceux qui jouent le jeu de la société filent quelques mètres au-dessus de sa tête au volant de leurs Cadillacs. Lui ne joue plus depuis longtemps et vit seul négligé par les siens. Autrefois junkie et alcoolique, il reste marginal et développe sur sa propre personne un discours analytique et auto-justificateur qui tient parfois de la logorrhée. Cumming nous introduit sans ménagement dans la réalité quotidienne de ce personnage. Filmant seul en vidéo, il prend le contre-pied de la pratique courante du portrait, il ne magnifie pas, n'idéalise pas, montre crûment ce qui est : la nudité, le dénuement, le mensonge, mais aussi les regrets, la tendresse ou l'expression du bon sens. Les plans-séquences se succèdent observant chaque détail de la vie de Colin, à la façon d'un Perrec rigoureux qui de la description d'un amoncellement d'objets ou d'une coupe de cheveux signifie les lignes directrices d'une vie. Cette recherche est formellement rendue sensible par l'utilisation du steady cam qui autorise Cumming à laisser son regard errer. Sans distraire la parole, la main conduit l'objectif au-delà du visage, enrichissant le verbe de ces plans décalés, décadrés, ou s'expose un quotidien sans fard. Cette réalité met parfois mal à l'aise, mais ce malaise constitue la force de L’ange capricieux

Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 1999

Karaoke

1998
3:00

Donigan Cumming appelle Karaoke un "Moving Still". Effectivement, dans la prise de vue de trois minutes qui compose son court métrage, le mouvement en vient presque à l'arrêt. En gros plan, Cumming montre le visage d'un vieil homme couché sur un lit, figé, les yeux fermés. Péniblement, il déglutit. Puis la caméra passe lentement le long du corps jusqu'à ses pieds et remonte au visage. Le vieil homme déglutit de nouveau - à cet instant, le spectateur s'aperçoit que cette deuxième partie du plan correspond à la première, mais à l'envers. La prise de vue a tourné en boucle, les mouvements d'aller et retour s'annulent mutuellement. L'image du film qui avance en continu s'avère donc n'être qu'une illusion d'optique.

Au niveau du rapport entre l'image et le son, Cumming remet également en question la représentation filmique. Lorsque la caméra zoome sur la bouche ouverte, on entend une chanson en off, comme si le vieil homme chantait avec un karaoké. Mais ses lèvres ne bougent pas. Dans Karaoke, l'image et le son ne se laissent pas assembler. Sauf lorsque le vieil homme bouge légèrement son pied, comme s'il marquait le rythme de la musique. Une pointe ironique dans le film complexe de Cumming sur les illusions d'optique au cinéma.

Elias Schafroth, Visions du réel, 2002

(traduction : Sarah Koch)

Quatre étages

1999
3:02

Dans ce film constitué d'un seul plan séquence, le visage de Colleen envahit l'écran. Cette femme, dont Donigan Cumming fera l'année suivante la figure principale de Si seulement je, retrace en quelques phrases pudiques un parcours de vie où l'amour se révèle arme blanche et l'héroïne conduit à l'oubli de soi. La force de cette confession réside dans la quiétude de son énonciation. Ainsi exprimés, sans passion, sans colère, les faits semblent d'une logique effroyable et implacable. C'est avec une étonnante solennité que Colleen évoque ce qui l'a poussée à tenter le suicide. « J'étais pétrifiée », dit-elle à deux reprises pour justifier cette ultime intention de se détruire. Si seulement je révélera la paralysie dont cette femme souffre et donnera un sens nouveau à ce simple mot : pétrifiée. Réalisé dans l'optique d'une installation vidéo intitulée Moving Stills, Quatre étages induit un questionnement sur l'enregistrement documentaire d'un témoignage. L'effet de distanciation de ce chapitre contraste avec l'aspect brut de certaines des séquences diffusées simultanément. Cette confrontation de styles invite à une réflexion critique sur la forme des images qui nous sont proposées.

Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 2002

Trip

1999
2:11

La ville est grise ; elle baigne dans l'ordinaire et sourd vacarme de la circulation automobile, de ses sirènes et ses klaxons. Parmi des buissons pétrifiés par le froid, dont chaque branche est saisie de glace, la caméra avance. La déambulation est agitée. On ne verra jamais le promeneur. Pourtant sa présence est impressionnante: ses pas, sa respiration, ainsi que des onomatopées la révèlent en gros plan sonore. L'image subjective scrute les branchages, marque de brefs arrêts, poursuit son chemin, explore les allées de cette espèce de labyrinthe. Les images, en suspension légère, contrastent avec le rythme saccadé des pas qui martèlent la neige glacée. Soudain, le marcheur s'immobilise. La caméra balaye l'espace. Elle cherche. L'image est ralentie, presque gelée. Le promeneur - Donigan Cumming, sans nul doute - suspend sa respiration. L'inquiétude culmine. Puis la caméra fait marche arrière. La recherche reprend pour ne jamais aboutir. L'inquiétude persiste, énigmatique et pénétrante.

Court fragment dans l'œuvre de Cumming, Trip en est également une métaphore. Celle d'une quête éperdue, hallucinée comme le suggère le titre, dans le dédale d'un âge glaciaire.

Jean Perret, Visions du réel, 2002

Petit Jésus

1999
3:02

C'est la nuit de Noël. Pierre, principal protagoniste de Après Brenda du même auteur, couche dans un couloir désert. Accompagné d'une bouteille, il crie sa solitude, son désespoir et adresse une prière au Christ.

Ainsi peut-on résumer le sujet de Petit Jésus. Mais qu'éprouve-ton trois minutes durant ? D'abord, de l'embarras et de la gêne. Cumming film son personnage en gros plan, son nez coule, et l'envie nous prend de rire tant la scène paraît grotesque et pathétique à la fois. Les chœurs ampoulés de la musique (celle de Once Upon a Time in America) ajoutent une distance et donnent un effet comique à l'ensemble. Pourtant, autre chose émane de cet homme souffrant qui déclame sa peine. Quelque chose d'universel, issu du tragique de la condition humaine. D'où vient cette impression ? Peut-être, par-delà les maux déclinés par notre homme, de ce que la caméra le fixe ostensiblement, là où naturellement le regard voudrait fuir. De ce que le temps se développe, obstinément, et que le personnage s'impose avec toute sa densité, son lyrisme. Quelque chose passe et nous bouleverse. Peu importe ce qu'a fait Pierre auparavant. Il devient une icône de la dereliction. Et l'envie de rire nous quitte totalement.

Bertrand Bacqué, Visions du réel, 2002

L'abri

1999
3:22

Un vieil homme vient de se faire renverser par une voiture, il est maintenant recroquevillé dans un abribus. Donigan Cumming s'est arrêté pour lui parler. Il fait froid, il n'arrive plus à bouger les jambes. Il est marié depuis quarante-cinq ans, a deux enfants, se chamaille souvent avec sa femme et croit en l'aide divine. Nous apprenons tout cela par la bande-son de Shelter. À l'écran, nous ne voyons que des images mouvantes semi-abstraites : le sol d'asphalte de l'abri bus, un morceau de main, une écharpe qui flotte au vent. Le travail de Cumming provoque souvent le spectateur en posant un regard intime, voire indiscret sur la maladie et la vieillesse. Shelter provoque d'une façon différente, en refusant de rien nous montrer de la rencontre qui est censée faire l'objet du film. Plus provocante encore est l'apparente insensibilité de Cumming. Face aux souffrances de cet homme, qui semblent bien réelles, il réagit comme s'il assistait à une scène de Western (« Vous ne pouvez pas viser juste dans un état pareil »), puis poursuit son chemin. Cette rencontre hors-champ, qui semble d'abord énigmatique, peut être comprise comme une critique du rôle du cinéaste et du public dans le traitement documentaire classique des défavorisés. Durant un laps de temps limité, nous rendons visite à des êtres moins chanceux que nous, nous en faisons les personnages d'un scénario imaginaire avant de les abandonner pour retourner à la tranquillité de notre quotidien.

Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002

(traduction : Emmanuelle Maupetit)

Si seulement je

2000
35:00

Longtemps photographe des corps, Donigan Cumming réalise depuis cinq ans les portraits sans concession d'êtres douloureusement éprouvés par la vie. Dans Si seulement je réapparaît Colin, l'ange de son précédent film, L’ange capricieux. Colin a recueilli dans son studio une femme, Colleen, oiseau tombé du nid, un jour où le suicide semblait l'unique issue. Elle vit désormais en fauteuil roulant et Cumming documente l'aube de sa nouvelle vie. La première séquence où Colleen entreprend l'évocation de son passé donne son titre au film. Si seulement je n'avais pas quitté mon mari, si seulement je ne m'étais pas attachée à cet autre homme. Ainsi entame-t-elle le processus de réécriture de son histoire, de ses tragédies comme elle dit. Comment Cumming parvient-il à créer une atmosphère de confiance telle qu'une seule de ses questions suffit à amener l'apparente douce énonciation de tant d'expériences violentes, comme la dépendance, l'inceste ou le suicide ? Au cœur de son dispositif cinématographique, le gros plan parvient aux limites du supportable lorsqu'une cicatrice ou un visage ravagé paraissent avec insistance sur l'écran. Car Cumming ne cache rien du quotidien de ce couple atypique. Il laisse s'exprimer en de longs plans toute la colère et l'amertume de ses personnages.

Ce n'est pourtant pas le « plaisir » de voir qui nous retient, mais le trouble de la réalité crue qui se déploie et la rigueur des méthodes d'appréhension du réel. Le travail de mise en image abandonne tout concept décoratif pour devenir au sens propre du mot un langage directement communicatif. Cumming choisit la mise en scène la plus proche de la parole afin de ne pas conduire à une dissolution du verbe, à une érosion de son sens. Il nous atteint évidemment avec force, nous dérange, et sa quête cinématographique, parfois qualifiée de « vidéo de la cruauté » en référence à la conception du corps au théâtre chez Artaud, semble conduire le documentaire dans ses derniers retranchements. Provocant pour le spectateur, mais définitivement inscrit dans une démarche d'auteur très cohérente, ce film présente une réalité sans fard, âpre, qui s'insinue et vous habite longtemps.

Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 2002

Wrap

2000
3:30

Un homme raconte une mésaventure en bégayant devant l'objectif. La caméra enregistre son histoire en cadrant son visage de très près, s'éloigne ensuite légèrement puis revient au gros plan de départ. Le récit semble alors poursuivre son cours normalement. Cependant, sans coupure apparente, la scène nous est montrée à l'envers, puis de nouveau à l'endroit. La boucle est ainsi répétée trois fois consécutives, donnant finalement lieu à un faux plan-séquence de trois minutes. Parallèlement, le son se dissocie rapidement de l'image. Si le monologue se poursuit normalement lorsque la scène est montrée en arrière, il est ensuite également diffusé en arrière ou encore superposé au son direct. Cette boucle obsessionnelle se termine enfin sur l'image brutalement arrêtée du personnage en train de fermer les yeux, alors que le son, totalement distordu, est devenu inaudible. Wrap est un film qui bégaie. Donigan Cumming s'amuse à adapter de manière extrême le discours cinématographique à son sujet. Les multiples redoublements donnent une dimension inattendue au document enregistré. Abusant des codes habituels du réalisme documentaire, le cinéaste enveloppe ce fragment de réalité d'un regard nouveau.

Christian Bovey, Visions du réel, 2002

Docu-Duster

2000

Donigan Cumming risque de déborder le cadre, tant sa volonté jubilatoire à en occuper tout l'espace est grande. Nez proéminent, visage blafard et transpirant, il joue une terrible scène à deux voix. L'une affirme qu'il est grand temps d'y aller. Le personnage, Dan, est furieux et menaçant. Rien ne l'arrêtera ! Donigan enchaîne. C'est Alice qui implore Dan : il ne faut pas qu'il les abandonne, elle et les enfants. Il risque la mort ! « Ne sois pas un héros ! », supplie-t-elle. Mais Dan l'envoie au diable. Inspiré par un western - 3:10 to Yuma - c'est sur le registre du kitch mélodramatique propre aux feuilletons soap, que Cumming pratique l'outrance avec délectation. La satire est d'une drôlerie cruelle. Illustrant le paradoxe du comédien, il joue tout autant qu'il est ces deux personnages. Docu-Duster fait le lit de l'ensemble de sa démarche, consistant à filmer de près des hommes et des femmes, qui sont à la fois eux-mêmes et les personnages qu'ils interprètent. Ici, dans un jeu de rôles archétypiques, Cumming existe dans l'exagération douloureuse et la vérité rédemptrice de son être réel et fantasmé. Il fait sienne cette histoire mythique de héros intrépides et fragiles.

Jean Perret, Visions du réel, 2002

Une courte leçon

2000
1:18

Dans Une courte leçon, court-métrage d'une minute, deux séquences-son en off se superposent à l'image : d'abord un dialogue extrait de Sullivan's Travels, dans lequel un réalisateur s'entend reprocher sa naïveté ainsi qu'un certain voyeurisme à vouloir réaliser un film sur « les pauvres ». Suit une anecdote à propos de James Agée, critique cinématographique bien connu : ivre la plupart du temps, il s'endormait au cinéma et écrivait ses articles pour Time Magazine sur la base de résumés fournis par un collègue ami.

Pendant ce temps, la caméra promène son oeil impitoyable sur le visage d'un vieil homme, examine la racine des (rares) cheveux, le verre (gras) des lunettes, le nez parsemé de comédons, les lèvres ourlées de pustules, avant de s'arrêter sur la bouche. Détachés de leur contexte naturel, ces organes acquièrent un statut particulier: ils deviennent des entités individuelles, semblent vivre par eux-mêmes et témoignent par leur aspect de leur propre décrépitude.

Forcé qu'il est de détailler ainsi ce visage ravagé, le spectateur éprouve rapidement un malaise bien naturel. Ce trouble, prémédité par Cumming, fait écho à la conversation du début du film et sonne également comme une riposte à ceux qui l'accusent de voyeurisme.

D'une ironie mordante, cette « courte leçon » est à prendre comme l'amorce d'une discussion sur la responsabilité du cinéaste, ainsi que sur le rôle du spectateur et de la critique. 

Sophie Guyot, Visions du réel, 2002

My Dinner with Weegee

2001
36:26

My Dinner With Weegee ne s'intéresse pas au reporter photo Weegee, mais à Marty, qui le fréquentait à New York dans les années cinquante. Aujourd'hui septuagénaire, Marty évoque avec Donigan Cumming les souvenirs de ses rencontres avec Weegee ainsi qu'avec des artistes, des écrivains et des activistes politiques. Cette époque haute en couleur contraste violemment avec la vieillesse de Marty, dominée par les problèmes de santé, d'alcool, d'argent, et par la solitude. Au cours du film, Cumming pousse Marty à se révéler le plus entièrement possible, allant jusqu'à le filmer en train d'uriner. Si le charme de Marty transparaît lorsqu'il fredonne quelques mesures d'une chanson, on le voit plus tard cherchant à tâtons une bouteille de bière de ses mains tremblantes. Cumming ne cache pas les multiples rôles qu'il tient dans le film (et dans la vie?), celui d'ami, de biographe, mais aussi d'aide-soignant et d'inquisiteur. On le voit ainsi aider Marty à prendre ses médicaments, le chapitrer sur son alcoolisme et raconter à son tour ses souvenirs au vieil homme. Dans une scène, il fait pivoter la caméra d'avant en arrière entre son visage et celui de Marty, transformant ses questions sur l'alcoolisme de Marty en une interrogation filmique. À divers moments du film, Cumming dévoile son propre passé alcoolique, sa décision de quitter les États-Unis durant la guerre du Vietnam et sa fascination pour le vieillissement, la déchéance et la perte. Si le ton est guindé et I'élocution théâtrale, ces remarques ressemblent beaucoup à une confession, faisant de My Dinner With Weegee l'un des films le plus révélateurs de la personnalité du cinéaste.

Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002

(traduction : Emmanuelle Maupetit)

Culture

2002
17:04

Dans son dernier film, Culture, Donigan Cumming fouille l'appartement de l'un de ses personnages fétiches, Nelson, qui est alors à l'hôpital. Filmant d'une main et explorant les tiroirs de l'autre, Cumming déniche de nombreuses preuves du passage du temps. La poussière, la saleté, des bouts de nourriture moisis couverts d'insectes témoignent de l'absence de Nelson ; des photographies et des souvenirs évoquent certains épisodes de sa vie.

Derrière la caméra, on entend les réactions de Cumming à la vue de ces trouvailles. Elles vont du dégoût devant le désordre à l'émotion face aux signes de vieillissement et de maladie de son ami, en passant par l'agacement lorsqu'il n'arrive pas à trouver le chéquier de Nelson, qu'il est censé chercher. Cumming découvre aussi des traces du rôle qu'il joue dans la vie de cet homme : il est l'auteur de beaucoup des photos qu'il trouve. On y voit Nelson et d'autres personnages de ses films sur une période de vingt ans.

Les commentaires en voix-off de Cumming (et ses autres films), laissent deviner que beaucoup des gens qui figurent sur ces photos sont déjà morts. Les photos agissent comme un flashback renvoyant à une époque révolue, et laissent aussi présager la mort de Nelson.

Ainsi, Culture se transforme en une élégie anticipée à Nelson mourant. Mais c'est aussi, comme à chaque fois chez Cumming, un commentaire sur l'activité de capturer les gens sur des images fixes et en mouvement. La polysémie du titre du film — qui peut avoir un sens anthropologique, esthétique et biologique — évoque la nature polymorphe du besoin de témoigner de la vie des autres.

Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002

(traduction : Emmanuelle Maupetit)

Voix : off

2003
38:08

Donigan Cumming se penche sur la violence du temps qui abîme les corps et épuise les mémoires. Dans le cas du personnage principal de Voix : off, Gerald, la maladie est irrémédiable. Deux cancers sont à l'œuvre, dont l'un s'est attaqué à sa gorge. Les premières images sont celles imparables d'un homme nu, rendu à sa grande vieillesse et à sa voix défaillante. La saisie au présent de la mort au travail est l'un des termes de ce film dense et complexe. Mais Cumming aime aussi à remonter le temps, à la recherche d'un état d'innocence. Dans son atelier, il étale les photographies de la vie de Gerald. Nouveau-né, petit garçon choyé par sa maman, élève en internat, adolescent charmant et adulte inquiet, ces états lui confèrent des postures, des regards différents, et révèlent aux yeux du vidéaste des malaises insoupçonnés. Parmi ces images, celle de Cumming lui-même rappelle à quel point il est un proche de la famille, en sa qualité de chroniqueur fidèle et insistant. Il porte sa caméra vidéo au poing, colle au corps et détaille les photos. Obsessionnellement, il cherche sa légitimité entre fascination aux accents morbides et réflexions aux ambitions métaphysiques. Iconoclaste et brutal dans sa quête précipitée, Voix : off est étrangement fraternel. Une scène, particulièrement, en témoigne. Gerald et un ami sont debout dans une modeste pièce. Le temps est suspendu. Rien ne se produit, leur attente paraît sans objet. Personnages beckettiens, ils sont livrés au destin absurde de l'humanité.

Jean Perret, Visions du réel, 2002

Cold Harbor

2003
2:55

Dans Cold Harbor, Donigan Cumming use d'un minimum de moyens pour générer un puissant message anti-guerre. Au premier abord, ce film vidéo semble énigmatique, presque abstrait. Une caméra amateur se déplace prudemment autour d'une chambre d'hôpital, zoomant et faisant des panoramiques de la fenêtre au lit, où est allongé un vieil homme à la peau sombre. L'image est tremblée, floue. Hors champ, une radio hurle les nouvelles. Sur la bande son, on entend également la voix de Cumming qui lit un extrait des mémoires d'un général : « J'ai toujours regretté l'assaut de Cold Harbor ». Même si l'on ignore que ce texte provient des Mémoires de la Guerre civile américaine de Ulysses S. Grant, le carnage qu'il évoque ne perd rien de son absurdité. À la description de l'issue dramatique de cette bataille historique répond bientôt le compte-rendu du présentateur radio sur un conflit plus récent et plus familier. Lorsqu'on l'entend prononcer les mots « Taliban », « Al-Qaida » ou la phrase « les bombardements américains ont tué... », la position critique de Cumming devient claire. Pendant ce temps, la caméra tourne autour du corps du vieil homme comme s'il s'agissait d'un objet, le scrutant de si près que sa peau semble soudain constituée de pixels. Est-ce un vétéran de guerre ? Est-il encore vivant ? En soulignant la fragilité du corps humain, Cumming nous rappelle que les ordres que donnent les généraux résonnent dans la chair des hommes. 

Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002

(traduction : Emmanuelle Maupetit)

Du côté de chez Locke

2003
21:00

L'une des questions centrales de la philosophie a toujours été : « Que puis-je connaître ? » Du côté de chez Locke en fournit une illustration frappante. Dans ce court film, Donigan Cumming s'intéresse à l'histoire de son frère aîné, qui semble avoir passé la plus grande partie de sa vie dans des institutions spécialisées à la suite d'un incident cérébral. Cumming se plonge dans de vieilles photos de famille et des documents médicaux, commentant ce qu'ils révèlent ou ne révèlent pas. Avec une pointe de désespoir, il demande :  « Julien (surnommé Jerry) était-il vraiment anormal ? Si tel est le cas, quelle était la cause de cette anormalité ? Quelles incidences cela a-t-il eu sur le reste de la famille ? »

Cumming parle derrière sa caméra vidéo, qui enregistre les mouvements de son corps et sa respiration saccadée. Il réagit de façon autant physique que psychologique au mystère que représente Jerry. Par moments, il fuit littéralement le problème en quittant la cave où sont entreposées les photos. Mais il se force à y redescendre pour affronter les archives familiales. Lorsqu'il est en haut, ses émotions sont celles d'un adulte rationnel, quand il retourne à la cave, il descend dans le monde émotionnel de son enfance. Cumming a déclaré que ce travail avait deux références principales, le philosophe anglais John Locke et l'écrivain français Marcel Proust. Locke soutenait une approche empirique de la connaissance, tandis que Proust s'en remettait au souvenir de l'expérience. Du côté de chez Locke confronte ces deux approches, mais la conclusion — tout comme les interrogations sur la vie de Jerry — demeure inconnue.

Marcy Goldberg, Visions du reel, 2003

(Traduction : Emmanuelle Maupetit)

Fontaine

2005
21:55

Fontaine est un film qui se dérègle savamment au fur et à mesure de son développement chaotique. Ces têtes fatiguées, ces corps délabrés, ces voix usées, que Donigan Cumming assemble comme un entomologiste invité à exhiber des morceaux choisis de ses collections, défient la bienséance. C'est la dimension de provocation politique du cinéaste, que de dévoiler la part maudite des sociétés qui se vautrent dans l'esthétique clean, la beauté lisse des images généralisées de la communication publicitaire. Ses films racontent résolument une histoire différente. Et c'est un autre plaisir qui guide également Cumming, ayant trait à la dimension ludique de son travail. Il s'agit pour lui de pratiquer une espèce de cinéma de famille (on retrouve les personnages de ses films précédents), dont il est le grand ordonnateur. Il prend un évident plaisir à les diriger et à s'inclure lui-même dans la ronde. Face à la caméra, il appelle de ses vœux des temps plus apaisés et agités tout à la fois. Conditions mêmes pour réaliser un film ? Le gros plan joue un rôle important dans ce dispositif : il colle à la peau stigmatisée par la décrépitude. Les visages édentés, bavant, rigolards et ébahis constituent les pièces d'un puzzle humain qui débordent de l'oeuvre du cinéaste comme l'eau trop abondante d'une fontaine. Ces hommes et ces femmes à l'abandon d'eux-mêmes hantent les images. C'est là la dimension morale de Donigan Cumming : nous transmettre dans une forme de violence visuelle sa vision désabusée et fascinée d'êtres guettés par la mort.

Jean Perret, Visions du réel, 2005

3

2007
3:43

Hommes endormis, un rêve, jouer une chanson ; ange et neige, ailes et fleurs, argent et arbres ; rapide et lent, piano délabré, rire.

Monument

2008
5:50

Monument met en scène la mort violente et l’enterrement tragique d’un objet symbolique. Trois porteurs de cercueil sont les fantômes d’une machine cruelle. Par imitation servile et avec un comportement galeux, ils pleurent la mort d’un homme qu’ils n’ont pas connu.

 

Crayons, cendres, allumettes et poussière

2009
1:17

Dessins et photographies de Donigan Cumming glissent sur l’écran tels des souvenirs, des traces nous rappelant la troublante richesse de son oeuvre.

Bien trop de choses

2010
36:00

Obsession, fascination et confusion dans un monde d’objets qui refusent de disparaître.

Entretien de départ

2014
20:35

Entretien de départ est une tragi-comédie sur l’obsolescence, réalisée par un artiste qui jongle avec l’idée qu’il a passé sa date de péremption. Les exit interviews (entretiens de départ) ont lieu habituellement avec les employés qui quittent définitivement leur emploi. Donigan Cumming a été le documentariste officiel d’une communauté en déclin... Il a été licencié.

Dans la valise de Kerr

2016
38:17

La mémoire, en trois actes. Un garçon ouvre des présents. Deux hommes ouvrent une valise pleine de photos. Une actrice vieillissante se livre sur son amour perdu et d'anciennes rivales.

 

Les sept merveilles du monde

2018
18:59

Une compilation d'observations trop proches, d'animation et de moments volés, Les sept merveilles du monde est une manifestation absurde étalée sur les murs de la ville. Pour les gloires d'ingénierie de la civilisation antique, cette nouvelle œuvre en ajoute une huitième : la survie à la limite de l'univers connu - la vie à nu.

Wave

2021
4:00

Tendres souvenirs d'une première étreinte homosexuelle, de choc et d'euphorie - et de désaveu - animés contre les vagues d'un lac d'un bleu profond. Cette biographie animée raconte l'histoire de la première rencontre de l’artiste avec un autre garçon. Ce n'était pas la façon dont il avait planifié sa vie, et il espérait que ce sentiment finirait par disparaître. Il a attendu des années jusqu'à ce qu'il rencontre finalement quelqu'un qui changerait sa vie pour toujours.

 

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