Introduction
Corps-à-corps : l’œuvre de Donigan Cumming inaugure une nouvelle série de publications et de coffrets numériques éditée par Vidéographe. Réunissant les 26 vidéos de Donigan Cumming produites à ce jour, ainsi que des images de ses installations, photographies, dessins et collages, cette publication réactualise et complète le coffret DVD Controlled Disturbance paru en 2005.
Nous avons voulu présenter ici les différentes facettes du travail de Cumming afin de faire apparaître les liens qui unissent les différents corpus d’œuvres qu’il a produits jusqu’ici. Privilégiant une approche interdisciplinaire, nous avons invité les auteurs Zoë Tousignant et Fabrice Montal, respectivement commissaire et programmateur, à examiner son œuvre sous les angles de l'histoire de l'art et du cinéma. Dans le même ordre d’idée, nous avons privilégié ce format web parce qu’il nous permettait d’exposer une sélection généreuse de documents de différentes natures. S’ajoutent ainsi aux textes, vidéos et images, des œuvres sonores, des scénarios et une entrevue audio avec Donigan Cumming menée par Jean Perret, penseur du cinéma du réel.
Dans Rebut et refus dans l’art de Donigan Cumming, Zoë Tousignant aborde chronologiquement le travail de l’artiste en mettant en perspective le caractère prolifère de ses œuvres et en révélant la profusion des éléments qui constituent chaque projet. À l’image des « personnages » qui reviennent d’une œuvre à l’autre pendant vingt, trente ou quarante ans, les tournages se déclinent en plusieurs vidéos et collages ; les expositions deviennent des livres d’artistes ; les photographies, des dessins. Tousignant dépeint ainsi « l’attitude artistique » de Cumming comme une action en foisonnement perpétuel. En plus d’être une méthode de travail, elle constate que l’artiste, en récupérant et en transformant constamment son propre matériel, déjoue avec ténacité et malice les attentes du public envers son travail.
Dans Donigan C. et les richesses de l’indigence, Fabrice Montal situe le travail de Cumming par rapport aux contextes artistiques et sociopolitiques dont il est issu. L’auteur identifie également les stratégies qu’emploie Cumming pour critiquer vigoureusement la prétendue vérité documentaire. Il montre notamment que l’artiste utilise l’improvisation et la distanciation pour révéler que les productions documentaires sont mises en scène et qu’elles reposent trop souvent sur des relations de pouvoir entre observateur et observé. Ces relations de pouvoir sont à la fois dévoilées et critiquées par l’impudeur de la relation entre Cumming et ses « protagonistes ».
Au cours de l’entrevue qu’il mène avec Cumming, Jean Perret insiste sur l’énergie qui active son œuvre. Celle-ci est rendue palpable par la présence affirmée du corps de l’artiste dans ses vidéos. On entend sa respiration profonde et son rire exubérant. La caméra à l’épaule filme sans s’arrêter le « corps-à-corps » que l’artiste engage avec ses protagonistes. Cette caméra impatiente et anxieuse, Cumming la compare à un animal qu’il tiendrait dans sa main et ne voit pas de limites à ce qu’elle peut regarder. Perret soutien avec force qu’en montrant ce qui n’est jamais montré et en refusant de se conformer à la « dictature des images » établie par la société de consommation, Cumming pose un geste politique.
Les textes de Montal et Tousignant, l’entrevue de Perret et les documents sélectionnés pour cette publication permettent de saisir la ferveur créative de Cumming, sa volonté de toujours déstabiliser et de puiser sans répit aux marges de la société, du regardable et de ses propres œuvres. On est également frappé par l'engagement continu de l'artiste envers ses protagonistes avec lesquels il entretient des liens intimes, fidèles et parfois tendus. Même s’il les montre dans des images crues au point parfois de la révulsion, Cumming porte à ces derniers un amour qui se construit dans le temps et qui, comme toute relation, se dirige vers la mort dans la colère et l’allégresse.