Scénarios
Ces scénarios furent rédigés par Donigan Cumming en 2006 à partir des vidéos produites depuis 1996. Ils ne participent ainsi pas de ces dernières, mais constituent des pièces autonomes. À l'image de la technique qu'il utilise pour créer ses dessins, montages photographiques et collages, Cumming réutilise, ici par l'écriture, les éléments de ses oeuvre pour en produire de nouvelles. Il s'assure ainsi « de ne rien laisser se perdre ».
Il s’agit bien ici de scénarios et non pas de simples verbatim. On y retrouve en effet les codes de rédaction propres à ce type de document : style de mise en page, indication de temps et de lieu, description des actions, indication des voix off. La production de ces documents normés, bien qu’elle soit faite à rebours, constitue une stratégie de l’artiste pour inscrire les œuvres dans le champ cinématographique, stratégie à laquelle s’ajoute son exploration de différents genres (film biographique, romantique, western). Bien sûr, sa pratique se situe dans les marges les plus extrêmes du cinéma. Néanmoins, c’est précisément parce qu’il s’y immisce par ces différents procédés qu’il peut ainsi violemment le triturer.
Les scénarios sont disponibles en anglais seulement.
Dans son premier film, Une prière pour Nettie, Donigan Cumming avait placé Albert au centre de l'hommage funèbre rendu à Nettie, son ancien modèle. Un an plus tard, il compose Coupez le perroquet, un nouveau requiem à l'intention d'Albert, décédé à son tour dans l'indifférence totale. Comme dans son précédent film, le cinéaste recueille une série d'éloges funèbres en honneur du défunt auprès de ceux, proches ou moins proches, pour qui cette mort suscite une émotion. Mais ce film diffère du précédent en ce qu'il semble fondé non seulement sur le respect, mais aussi sur un intense sentiment de colère. Plusieurs fois, Donigan filme son propre visage et raconte avec hargne la façon dont on lui a annoncé la mort d'Albert ou sa visite à la morgue pour reconnaître le corps. Dès lors, le fondement de sa quête cinématographique semble clairement exposé: aucune existence, aussi marginale soit-elle, ne doit s'achever de la sorte, sans un regard. À travers leurs témoignages contribuant à donner un sens à la vie d'Albert, à l'éloigner de la fosse commune, ces personnages fragiles qui expriment leur attachement révèlent leur propre grâce, comme cette femme épileptique qui interprète Que sera, sera avec tant d'intensité.
Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 2002
Quinquagénaire alcoolique et ventripotent, Pierre Lamarche a tout perdu : accusé de viol par Brenda, la femme qu'il aime, il se retrouve à la rue après un séjour en prison. Obsédé par son ex-amante, il la soupçonne de coucher avec les voisins et de s'adonner à la prostitution.
Livrant sa mésaventure à la caméra de la même façon qu'il se soumettrait à une thérapie, Pierre se considère en quelque sorte comme le producteur d'un document sur sa vie. Cabotin, il se pique au jeu et n'évite ni la surenchère ni les détails croustillants. De son côté, Cumming dirige ses acteurs de fortune, plante le décor et provoque les rencontres, en grand ordonnateur de ce qu'il définit lui-même comme un « roman populaire ». Par un dispositif narratif complexe, il juxtapose au récit de Pierre ses propres commentaires ainsi qu'une seconde histoire plus morbide, bien distincte de la première et narrée par un personnage à priori étranger au drame principal. Ici, le documentaire flirte clairement avec la fiction : chaque personnage joue son propre rôle, y compris le cinéaste; perspicace, il collecte les fragments épars de cette affaire à la manière d'un détective, entre dans les appartements et en ressort après avoir fixé sur la bande vidéo pièces à conviction -la petite culotte de Brenda ... - et témoignages scabreux. Dans sa dimension sordide et humoristique, Après Brenda donne à voir une réalité elliptique et explicitement manipulée. Déconcertante au premier abord, elle est cependant à l'image de la vie de Pierre : un mélange ordinaire de faits avérés et fantasmes.
Sophie Guyot, Visions du réel, 2002
Est-ce que les anges erratiques sont des anges déchus? Quand on découvre Colin, quarante-huit ans, personnage central de ce film, il marche sous un viaduc autoroutier. Il marche alors que ceux qui jouent le jeu de la société filent quelques mètres au-dessus de sa tête au volant de leurs Cadillacs. Lui ne joue plus depuis longtemps et vit seul négligé par les siens. Autrefois junkie et alcoolique, il reste marginal et développe sur sa propre personne un discours analytique et auto-justificateur qui tient parfois de la logorrhée. Cumming nous introduit sans ménagement dans la réalité quotidienne de ce personnage. Filmant seul en vidéo, il prend le contre-pied de la pratique courante du portrait, il ne magnifie pas, n'idéalise pas, montre crûment ce qui est: la nudité, le dénuement, le mensonge, mais aussi les regrets, la tendresse ou l'expression du bon sens. Les plans-séquences se succèdent observant chaque détail de la vie de Colin, à la façon d'un Perrec rigoureux qui de la description d'un amoncellement d'objets ou d'une coupe de cheveux signifie les lignes directrices d'une vie. Cette recherche est formellement rendue sensible par l'utilisation du steady cam qui autorise Cumming à laisser son regard errer. Sans distraire la parole, la main conduit l'objectif au-delà du visage, enrichissant le verbe de ces plans décalés, décadrés, ou s'expose un quotidien sans fard. Cette réalité met parfois mal à l'aise, mais ce malaise constitue la force de L’ange capricieux.
Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 1999
Longtemps photographe des corps, Donigan Cumming réalise depuis cinq ans les portraits sans concession d'êtres douloureusement éprouvés par la vie. Dans Si seulement je réapparaît Colin, l'ange de son précédent film, L’ange capricieux. Colin a recueilli dans son studio une femme, Colleen, oiseau tombé du nid, un jour où le suicide semblait l'unique issue. Elle vit désormais en fauteuil roulant et Cumming documente l'aube de sa nouvelle vie. La première séquence où Colleen entreprend l'évocation de son passé donne son titre au film. Si seulement je n'avais pas quitté mon mari, si seulement je ne m'étais pas attachée à cet autre homme. Ainsi entame-t-elle le processus de réécriture de son histoire, de ses tragédies comme elle dit. Comment Cumming parvient-il à créer une atmosphère de confiance telle qu'une seule de ses questions suffit à amener l'apparente douce énonciation de tant d'expériences violentes, comme la dépendance, l'inceste ou le suicide? Au cœur de son dispositif cinématographique, le gros plan parvient aux limites du supportable lorsqu'une cicatrice ou un visage ravagé paraissent avec insistance sur l'écran. Car Cumming ne cache rien du quotidien de ce couple atypique. Il laisse s'exprimer en de longs plans toute la colère et l'amertume de ses personnages.
Ce n'est pourtant pas le « plaisir » de voir qui nous retient, mais le trouble de la réalité crue qui se déploie et la rigueur des méthodes d'appréhension du réel. Le travail de mise en image abandonne tout concept décoratif pour devenir au sens propre du mot un langage directement communicatif. Cumming choisit la mise en scène la plus proche de la parole afin de ne pas conduire à une dissolution du verbe, à une érosion de son sens. Il nous atteint évidemment avec force, nous dérange, et sa quête cinématographique, parfois qualifiée de « vidéo de la cruauté » en référence à la conception du corps au théâtre chez Artaud, semble conduire le documentaire dans ses derniers retranchements. Provocant pour le spectateur, mais définitivement inscrit dans une démarche d'auteur très cohérente, ce film présente une réalité sans fard, âpre, qui s'insinue et vous habite longtemps.
Yann-Olivier Wicht, Visions du réel, 2002
Un homme raconte une mésaventure en bégayant devant l'objectif. La caméra enregistre son histoire en cadrant son visage de très près, s'éloigne ensuite légèrement puis revient au gros plan de départ. Le récit semble alors poursuivre son cours normalement. Cependant, sans coupure apparente, la scène nous est montrée à l'envers, puis de nouveau à l'endroit. La boucle est ainsi répétée trois fois consécutives, donnant finalement lieu à un faux plan-séquence de trois minutes. Parallèlement, le son se dissocie rapidement de l'image. Si le monologue se poursuit normalement lorsque la scène est montrée en arrière, il est ensuite également diffusé en arrière ou encore superposé au son direct. Cette boucle obsessionnelle se termine enfin sur l'image brutalement arrêtée du personnage en train de fermer les yeux, alors que le son, totalement distordu, est devenu inaudible. Wrap est un film qui bégaie. Donigan Cumming s'amuse à adapter de manière extrême le discours cinématographique à son sujet. Les multiples redoublements donnent une dimension inattendue au document enregistré. Abusant des codes habituels du réalisme documentaire, le cinéaste enveloppe ce fragment de réalité d'un regard nouveau.
Christian Bovey, Visions du réel, 2002
My Dinner With Weegee ne s'intéresse pas au reporter photo Weegee, mais à Marty, qui le fréquentait à New York dans les années cinquante. Aujourd'hui septuagénaire, Marty évoque avec Donigan Cumming les souvenirs de ses rencontres avec Weegee ainsi qu'avec des artistes, des écrivains et des activistes politiques. Cette époque haute en couleur contraste violemment avec la vieillesse de Marty, dominée par les problèmes de santé, d'alcool, d'argent, et par la solitude. Au cours du film, Cumming pousse Marty à se révéler le plus entièrement possible, allant jusqu'à le filmer en train d'uriner. Si le charme de Marty transparaît lorsqu'il fredonne quelques mesures d'une chanson, on le voit plus tard cherchant à tâtons une bouteille de bière de ses mains tremblantes. Cumming ne cache pas les multiples rôles qu'il tient dans le film (et dans la vie?), celui d'ami, de biographe, mais aussi d'aide-soignant et d'inquisiteur. On le voit ainsi aider Marty à prendre ses médicaments, le chapitrer sur son alcoolisme et raconter à son tour ses souvenirs au vieil homme. Dans une scène, il fait pivoter la caméra d'avant en arrière entre son visage et celui de Marty, transformant ses questions sur l'alcoolisme de Marty en une interrogation filmique. A divers moments du film, Cumming dévoile son propre passé alcoolique, sa décision de quitter les États-Unis durant la guerre du Vietnam et sa fascination pour le vieillissement, la déchéance et la perte. Si le ton est guindé et I'élocution théâtrale, ces remarques ressemblent beaucoup à une confession, faisant de My Dinner With Weegee l'un des films le plus révélateurs de la personnalité du cinéaste.
Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002