Introduction
L’histoire de l’art vidéo est intrinsèquement liée à celle de Vidéographe en ce sens où ce dernier a évolué au rythme du raffinement des outils et des méthodes et, dès lors, favorisé l’essor de nouvelles possibilités techniques et artistiques. Les 50 ans de Vidéographe marquent ainsi autant d’années d’essais, d’exploration et d’innovation pour un nombre sans cesse croissant d’artistes. Les bidouilleurs des premières heures sont devenus des artistes établis, voire des phares de la création vidéo. Ils ont fait avancer la production, initié la relève et développé des pratiques qui nourrissent et inspirent à chaque génération de nouvelles découvertes.
Lui-même enfant de ce siècle de création vidéo, Luc Bourdon évoque dans son texte le parcours de la relève jusqu’à la reconnaissance portée par la génération précédente et motivée par les transformations techniques encore à initier. Vidéographe y joue un rôle de catalyseur en rassemblant sous un même toit les gens et la technique qui feront de l’art vidéo un corpus artistique reconnu et célébré. Acteur à la fois des premiers instants de Vidéographe et des festivités entourant son 50e anniversaire, Bourdon introduit en fait une perspective humaine sur l’organisme et sur son rôle dans la communauté. Maria Nengeh Mensah poursuit indirectement cette réflexion sur la portée sociale du mandat du centre en soulignant plus spécifiquement le devoir de mémoire consolidé par sa collection. La collection de Vidéographe rassemble aujourd’hui quelques 2500 œuvres. Sa plateforme Vithèque constitue à ce titre un important outil de recherche sur l’histoire de la vidéo. Mensah met ainsi en lumière la fonction testimoniale du centre d’artistes dans les filières académiques puisque la collection donne accès aux pratiques et aux savoirs historiques et qu’elle encourage leur réactualisation à travers des recherches émergentes comme celle de l’auteure. Mensah s’intéresse aux œuvres des années 1980 et 1990 portant sur le VIH/sida et sur l’expérience des communautés affectées par sa progression, de manière à en faire ressortir la portée politique et à proposer une lecture intersectionnelle du corpus. Sa recherche démontre la valeur de cette accessibilité aux œuvres et aux écrits pour l’avancement des connaissances sur le médium.
Aux confluents de l’exploration technique et de la recherche qui distinguent la marque de Vidéographe à travers les décennies, Julie Ravary-Pilon propose une réflexion sur l’influence de l’outil vidéographique dans les pratiques artistiques axées sur le corps. L’auteure explore les notions de voyeurisme et de représentation du corps sexualisé à l’aune des effets propres au médium vidéo. De la chair à l’image, d’une matérialité à l’autre, Ravary-Pilon révèle le jeu télescopique de transfiguration du sujet par le travestissement du support. Au cœur des études de cas examinées par l’auteure, les méthodes de rétroaction et rétroprojection vidéo sont aussi étudiées par Sam Meech. Les techniques de vidéo feedback sont expliquées par Meech depuis une perspective historique identifiant non seulement les œuvres et les artistes fondamentaux de ces pratiques, mais aussi leur apport à l’art vidéo. En effet, la proposition de Meech remet à l’avant-plan la matière et les procédés formels autrement voilés par les élans narratifs de certaines œuvres.
Le texte de France Choinière conclut cet exercice anthologique en offrant un survol des avancées technologiques et autres innovations techniques qui ont porté le médium jusqu’à sa forme actuelle. L’approche historique se double chez l’auteure d’une connaissance sensible et manifestement informée de la création et de ceux et celles qui la portent, de sorte que la boucle ouverte sur la communauté par Bourdon se referme subtilement sur la matière. En somme, 50 ans d’images en mouvement nous rappellent qu’au-delà du médium, la vidéo est d’abord l’affaire des créatrices et des créateurs qui n’ont jamais cessé de la mettre au défi et ainsi de repousser pour leur public curieux les limites de l’art.